Ce récit fait suite au texte : En Patagonie mon coeur bat encore.
Personne n’aime les réponses. Alors on bredouille des excuses et on s’excuse de tout. Et tout le monde s’en satisfait. Pas moi.
C’était il y a un mois.
Elle posa son thé au jasmin. Son regard croisa le mien. Elle posa la question. Elle la posa calmement, comme si de rien. Elle connaissait mon projet. Un projet “fou” semble t-il. Comme tant d’autres. Enfin, toujours moins fou à mes yeux que ceux qui suivront un jour. Si j’en reviens…
Je vois plutôt cela comme une juste continuité. Mais quel projet de vie ne devrait pas être teinté de folie ? On est toujours le fou d’un autre. Ojos de Salado, Chili. Une jolie promesse de sommet. Une promesse de 7000m.
Elle me regarda sans ciller. Et puis elle me demande.
Et si tu meurs là-haut ?
Que devais-je répondre. Que devrais-je lui répondre.
Je n’ai pas de bonnes réponses. Ni bonne, ni délicate. Une pirouette humoristique peut-être. Je me lance en espérant lui décrocher un sourire. Elle est si belle quand elle sourit.
Si je meurs là-haut, cela sera comme un raccourci vers les étoiles… troisième à droite après le paradis. Imagine, j’aurai la plus imposante des pierres tombales. Tu sais que c’est important pour mon ego. Il y aura une vue magnifique je pense. Alors si je meurs. Si je meurs tout là haut, je te garderai la place au chaud. Avec un bol de bon chocolat. Je serai généreux. Je t’en laisserai un peu. Au moins une gorgée. Promis.
Elle sourit. Mais d’un sourire triste. Ses lèvres tremblent. Le silence s’installe. Je la prends dans mes bras. On fait l’amour.
Peu de temps après, elle partait. Une journée ordinaire. Pour le travail. Moi je partais ailleurs, loin. Pour de longues semaines.
L’amour s’embarrasse t-il de prudence ? Il ne devrait pas. Pour aimer, pour aimer longtemps, pour aimer vraiment, il faut pouvoir tout perdre. L’amour est une délicieuse bien que trop éphémère souffrance.
Il faut risquer de tout perdre pour aimer. Ne jamais se rigidifier dans un quotidien ouaté. Ne jamais oublier que la mort chaque jour nous rattrape afin de jongler, hilare, avec les secondes qu’il nous reste. Il n’y a pas de sursis. Aucune garantie. Aucune fausse promesse. Aucune justice. Il n’y a que nous-même face à nos choix. On signe chaque jour des chèques sans provisions. Pour certains, l’addition viendra toujours trop tôt. D’autres n’auront jamais vraiment vécu, jamais vraiment aimé, jamais vraiment rêvé. Quand on paye sa courte présence sur cette Terre de nos larmes et de notre sang, on a plus le temps pour le malheur ou l’apitoiement. Alors leur vie, à ses mollusques métronomes adeptes du délit de sale gueule dans le métro, aura t-elle vraiment compté ? Sont-ils plus sensibles, ces gens existants, consommant, consommant car existant ou existant pour consommer, que les roches que je dépasse ? Sont-ils plus fringants que la poussière qui s’élève sous mes pas et les pierres qui roulent sous mes pieds? Et, au fond, suis-je si différent ?
Mais pourquoi alors cette appétence soudaine de sommets. Est-ce plutôt un appétit pour la mort ? Une envie de s’élever au dessus de sa supposée médiocrité ? Est-ce que la prise de risque m’encanaille telle une drogue dont il faut constamment augmenter la dose ? Pourquoi vouloir préférer risquer de mourir plus tôt là haut que plus tard en bas ? C’est vrai, posons-nous la question. Pourquoi s’évertuer à vivre vraiment en dehors de la chaleur rassurante de son moelleux canapé ?
Il est ardu d’expliquer la poésie de la vie qui à chaque pas nous échappe lorsque nos mains caressent les nuages. Comme devant le petit écran, l’oxygène nous manque, les forces nous quittent, la mort nous étouffe dans un étau qui toujours plus haut se resserre. On sait que c’est absurde. Un lent suicide calculé. Et pourtant on continue. Inlassablement, on continue. Poursuivant à demi conscient le reflet fantomatique de nos espoirs. Est-ce que je souhaite ma fin ?
Non. Peut-être. Je ne sais pas. Si je reviens, je saurai.
Mais j’affronterai mes plus folles aspirations. Non pas que je le devrai. Non pas que je le dois. Car je ne dois rien à personne. Juste parce que je le peux. Juste parce que je le veux. Juste parce que je vis. Que j’en vis. Encore. Encore un peu, je profite de la musique et je joue mes propres notes.
Et si, là haut, je devais me couvrir du linceul de notre dernière étreinte. Alors ton dernier baiser sera mon plus bel adieu. Tu garderas en toi le souvenir d’un homme tentant de brûler à grande flamme sa dernière bougie.
Je n’ai pas de réponse. Pas plus aujourd’hui, qu’hier. N’ayant plus de mémoire, ne croyant plus vraiment à mon avenir, à notre avenir, je suis le poisson rouge de mon présent.
Et si tu meurs là haut ?
Est-ce là ta question. Ta véritable question. Et dans cette épopée de papier dont je suis le seul lecteur, demandes-moi. Demandes-moi au fond.
Pourquoi je veux mourir tout là-haut.
Note au lecteur, avant mon projet de l’Ojos del Salado que j’entreprends dans quelques jours, je me suis acclimaté sur le Lascar (5600m) et le Sairecabur (5978m) près de San Pedro de Attacama.
La suite du récit… Ojos del Salado : mon rendez-vous avec les étoiles
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