Il y a des pays qui n’existent pas. Oiseaux solitaires. Ils sont cet élève auquel personne ne s’adresse, qui n’intéresse personne et qui reste assis, silencieux, dans son coin.

De ces pays. leurs simple nom peut sonner comme des promesses d’aventures car, y aller, c’est s’engager dans un trou juridique. Un lieu de non droit.

S’y trouver, c’est tout de même disparaître un peu… au moins des radars du ministère des affaires étrangères. Cela comporte un risque. Toujours.

Avant de partir, quelques questions peuvent nous troubler.

Comment aller dans un pays qui n’existe pas ? Faut-il une baguette magique ?

Est-ce si dangereux ? Si on y va, se met-on, nous aussi, à ne plus exister ?

 

parlement tiraspol

2012 ap. J.C Dans l’Europe peuplée de vilains capitalistes corrompus, seul un petit village pays de braves et honnêtes sympathisants communistes, résiste à l’ignoble envahisseur. Le nom de ce territoire bénie des peuples libres : la Transnistrie et, sa capitale, Tiraspol. Voilà le tableau que l’on s’imagine de l’idéal de propagande transnistrien.

Seulement, le communisme est, en Europe, un souvenir qui est tombé dans l’ oubli en même temps que le mur.

L’Europe a fait place à Coca Cola  et à l’économie de marché. La Transnistrie, à sa manière  ne fait pas exception. Enfin si, mais sous d’autres aspects. Certes, c’est une économie ou la corruption, le népotisme,  la collision entre l’état, les oligarches issue des services secrets russes et des réseaux criminels, la contrebande d’armes,  de cigarettes, la traite humaine… fait partie intégrante du tableau à un degré, je pense, incomparable en Europe… mais le communiste tel que l’on peut se l’imaginer n’est que symbolique. Il a un visage moins terne, plus moderne et plus ouvert. En apparence. Il n’a pas non plus le choix. Le mur est tombé. Moi-même, il y a bien longtemps, je suis passé de l’autre côté.

 

Transnitrie : pays qui n’existe pas

drapeau transnistrie

Pourtant, la réalité est bien palpable. Elle est bien tangible… il y a des gens qui vivent sur ce territoire… Qu’ est-ce que possède ce que pays qui n’existe pas me direz-vous ?
Une constitution, une capitale,  un gouvernement ainsi qu’un président “démocratiquement” élu  des médias, un stade avec son équipe de foot, une monnaie, des postes frontières… non, vraiment, j’ai beau vérifié ma liste, cela ressemble bien à la définition d’un pays et pourtant… la Transnistrie, enclave entre la Moldavie à laquelle elle est censée appartenir et l’Ukraine, n’existe pas ; juridiquement parlant.

Ce pays n’est pas reconnue par un seul état membre de l’ ONU. Donc il n’existe pas. Logique implacable. En même temps, il n’a pas vraiment de raisons d’exister. Avant, il n’ y avait pas eu de transnistrie libre. Mais des intérêts purement mafieux ont fait le reste…

Même le grand frère russe, qui y fait stationnée une partie de sa XIV armée grâce à laquelle il garde une certaine influence dans le coin, ne reconnait pas officiellement la Transnistrie comme un état à part entière. Triste tableau de famille…

 

Tiraspol, capitale de la Transnistrie, c’est Kaboul en temps de guerre ?

char transnistrie

Il y a quelques soldats ici et là. Pas de regards haineux ni de regards envieux. Ils sont juste là et las. Parfois quelques bouteilles à la main dans certains quartiers de la ville, à l’abris du regard de leurs supérieurs.

Ils ne vous pointent pas du doigt, ni ne vous demandent papiers ou bakchichs si vous faites des photos des bâtiments officiels. Les locaux ne s’éloignent pas de vous comme la peste lorsqu’ils comprennent -rapidement- que vous n’êtes pas du coin… ils vous sourient, vous aident, vous rendent la monnaie sans essayer de vous arnaquer de quelques leis (monnaie locale). Sauf sans doute les chauffeurs de taxi, le soir venu… mais c’est presque partout… Je ne me suis pas vraiment senti en danger. Si le risque était trop grand, je n’y serai pas allé.  Mais ne posez pas trop de questions. Surtout pas les mauvaises et aux mauvaises personnes, celles concernant la liberté d’expression ou la criminalité ne sont pas les bienvenues. Ce n’est qu’un exemple. Contentez-vous de sourire d’un air niais.

 

2012 et  20 ans écoulés depuis le conflit sanglant qui opposa les indépendantistes transnistriens et les moldaves.

20 ans, c’ est long.

C’est suffisant pour que la nouvelle génération se sente plus transnitrienne que moldave. 20 ans, c’est suffisant pour panser un peu les plaies, changer un peu le pays et les mentalités.

Suffit de  voir ce que l’Europe de l’Est est devenue avec l’aide et les fonds de l’UE pour comprendre. Ici, certes l’argent de l’UE n’afflue pas mais il n’en reste que Tiraspol, à part ces quelques vestiges architecturaux de l’ère soviétique et ses routes et trottoirs à peine plus défoncés que la moyenne du coin (je parle de l’Europe de l’Est), ressemble, dans ses aspects extérieurs, à une ville comme tant d’autres. Avec ses magasins, ses habitants accrochés à leurs smartphones, ses grosses berlines neuves et clinquantes et ses vieilles fiat, ses filles en talon, Coca Cola, Adidas, les films en 3D, la 4G y trouvent aussi sa place…

Mais… mais il y a quelque chose qui flotte dans l’air. Un “je ne sais quoi”… Comme un air nostalgique. Comme un faux air soviétique. On a  parfois l’impression surréaliste de marcher dans une photo polaroid un peu jaunie. Parfois, au coin d’une rue, on ressent comme une menace sourde

 

Je sais que je n’ai vu qu’une infime portion du tableau. Avec un visa de 12h, je n’avais pas trop le temps de faire des folies à la campagne. Surtout sans véhicule. Accompagné d’un japonais, compagnon de fortune s’accrochant désespérément à mes bribes de russes comme une moule à son rocher. Mon insouciance avait une personne à charge. Je ne pouvais pas risquer des ennuis pour quelqu’un qui ne l’a pas choisi en restant plus longtemps. Je ne pouvais pas me permettre cette curiosité égoïste.

personnages importants tiraspol

 

Un état mafieux déliquescent

 

Il a du exister, ce temps trouble où, pour passer, vous deviez laisser quelques billets à un check point ou une bonne bouteille de vin et un “souvenir” aux gentils douaniers. Bien sûr qu’il a du exister… et puis ceux à qui cela est arrivé ont colporté la nouvelle, sans doute en enjolivant un peu la vérité et les problèmes rencontrés, certains ont même du inventer d’autres éléments afin d’assombrir le tableau, comme au jeu du téléphone arabe… on l’a tous fait. Cela pimente l’histoire. Une bonne audience se nourrit de sensationnalisme sur un fond de vérité. Comme la BBC concernant l’Ukraine et l’euro 2012

cine tiraspol

J’ai traversé la frontière dans un mini-bus en partance de Chisnau avec un ami voyageur japonais, Takashi, rencontré dans mon auberge de Chisnau. Le chauffeur, impatient, nous a aidé pour aller faire tamponner nos papiers… et avec de la chance, il se trouvera même une gentille âme transnistrienne pour vous aider en anglais. (rêvez pas trop pour le français, ce n’est pas vraiment une langue commune là-bas). J’ai discuté avec quelques personnes qui ont fait ce même voyage à l’auberge, aucun souci… Lorsque j’ai annoncé la nouvelle sur les réseaux que j’allais y faire un tour (n.b en Transnistrie), j’ai eu quelques messages et mails de lecteurs (dont papa) qui m’enjoignaient de renoncer. Interdisez un truc à un gosse (qui plus est adulte), il le fera. Règle d’or…. pourtant, ce n’est pas l’Afghanistan. Le pays n’est pas en guerre civile que je sache. Il est juste en guerre contre les voies dissidentes du parti. Évitez donc de faire de la dissidence durant vos 12h de visites.

 

Il n’ y a pas de vérité cachée en Transnistrie… juste un mensonge de façade. Tout le monde le sait. Personne n’en parle.

Le vrai danger est la part sombre, souterraine,  qui existe bel et bien et à laquelle on ne voudrait pas se confronter (sauf si on s’appelle Chris et que les organisations criminelles nous passionnent)… celle qui fait vivre ce pays et à laquelle il ne vaut mieux pas se mêler. Les armes, la drogue… la corruption, les atteintes à la liberté.

Le risque réel est bien présent dans une situation simple. L’absence de la reconnaissance de vos droits. Il y a toujours ces chanceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment avec la mauvaise personne. Évitez donc d’en être. Il n’y a pas trop de touristes à Tiraspol. Pour peu que vos papiers soient perdus et que vous ne maniez pas le russe, ni l’anglais… soyons clair, vous êtes dans la merde. Surtout si vous vous faites contrôler. Je veux dire, cela reste un régime renfermé, autocratique  reconnu par personne… aucun droit, présence non légitime,  le cocktail peut-être assez désagréable. Quoique l’expérience de séjourner dans une geôle transnistrienne doit être assez mémorable, je ne vous la souhaite pas. Une accusation d’espionnage, c’est juste 15 ans au trou !

Le visa ne nous autorise qu’a passer 12h dans ce pays… mais en 12h, cela peut être long si les ennuis surviennent.

 

Ce qu’il y a d’amusant… c’est que l’on a failli être hors la loi en n’ayant pas de bus prévus pour le retour. Or, il n’ y a qu’un seul train qui part pour Chisnau et a partir de 19h, les bus locaux se font… inexistants… c’est le côté imprévisible de mon insouciance. Heureusement, mon compagnon japonais resta stoïque et sa nature zen le poussa a garder confiance en mon optimisme. Il a bien fait. Il y avait un bus liaison Odessa – Chisnau qui passait par Tiraspol. Sinon vous êtes bon pour payer 40$ le taxi de retour.

 

Et les gens, que dire des gens vivant dans la peur ?

 peuple transnistrien heureux et libre

Ma foi, ils vivent. Ils vivent des mêmes peurs que nous. Le chômage,  la crise… Leur volonté est d’assurer un meilleur avenir à leur enfant. A cela s’ajoute une prudence à l’égard des autorités qui est manifeste. Il y a une certaine fausse liberté de la  presse. En témoigne Ernest Vardanean, journaliste indépendant, père de 2 enfants, a seulement été condamné à 15 ans de prison après avoir avoué, probablement sous les mains du KGB MGB (services secrets moldaviens) qu’il travaillait pour l’ennemi. C’est une petite victoire -de rester en vie- que certains journalistes russes sous quatre planches lui envie probablement (ou pas). Du reste, soyons honnête et directe. Tout le monde, en Europe, se fout de la situation de la Transnistrie si ce n’est les principaux concernés : les moldaves et les transnistriens. Tant que les russes auront un intérêt à garder un pied à terre dans la mer noire dans cet enclave, rien ne s’harmonisera totalement.

 

Au final :

 

Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai voulu aller là-bas. Nostalgie ? Pas vraiment…  enfin si, sans doute la fascination pour la présence en Europe d’un état purement criminel, survivant et se construisant grâce à l’opacité naturelle de son économie informelle. En 12h, honnêtement  on ne peut rien voir. On peut deviner. Faire une photo de la tour Eiffel ce n’est pas visiter Paris. On se sent frustré. On ne peut pas trop parler… Attiré par un voyage qui nous fait remonter le temps ? J’aurai aimé gratter la couche et savoir un peu ce qui se trame. L’entendre de ceux qui savent, de ceux qui le vivent. Cette part sombre…. J’aime parfois ce côté noir… Vous savez, si je suis resté si longtemps à Odessa, en Ukraine, ce n’est pas seulement pour ces plages. Il y a le port par lequel une grand part de la contrebande transite… à mon auberge, il y en avait un justement, je vous raconterai. Pour en revenir à la Transnistrie,  je ne sais pas si j’aurai obtenu des réponses. Je ne sais pas si je n’aurai pas pris des risques inutiles. La prochaine fois, peut-être ?

Trucs utiles à savoir

  • Transport :
    • Mini-bus en partance de la gare routière de Chisnau, prix aller, 29,58 Lei soit 2 euros environ, AR 4 euros. 2h/2h40 de route
    •  Avoir dans les 40$ sur vous peut vous aider si vous loupez votre mini-bus de retour, en taxi, Tiraspol-Chisnau c’est 35-40$
    • Le taxi en ville c’est environ 1 à 2 euros et ils vous emmènent ou vous voulez
  • Visite : Pour faire quelques photos des bâtiments communistes, 2h30 suffisent, en été vous pouvez ensuite profiter de la plage à côté du monument aux morts
  • Administratif : la frontière, c’est de 30 min à 1h30 à l’aller avec un document à remplir vous autorisant à séjourner sur le territoire, à garder absolument sinon ennuis et bakchichs à la clé !
  • A lire pour les passionnés du comment et du pourquoi de cet état mafieux : construction étatique et capitalisme de contrebande en transnistrie