Il fut un temps où feuilleter les albums photos au retour des vacances ou lors d’un sursaut de nostalgie était courant. Ma mère les ressortait à l’occasion de certains anniversaires pour que l’on se remémore, ensemble, le bout de  chou adorable que j’étais durant mon enfance, par rapport à cette fine asperge dégingandée que j’étais devenu durant l’adolescence. Mes grands-parents polonais ouvraient, quant à eux, un livre d’un autre temps, souvent en noir et blanc, ou jauni par les ans, où ma ressemblance avec ma mère était frappante durant notre jeunesse. Les époques, les lieux, les anecdotes s’enchaînaient jusqu’à ce que les premiers bâillements apparaissent. Lorsque je revois celles de ma soeur, gambadant avec insouciance à mes côtés alors que j’arbore cette mine d’adolescent déprimé, je verse plus d’une larme.

Il y a une candeur délicate qui émane de ces photos maladroites, un peu jaunies, aux couleurs délavées. Un temps où le monde me paraissait plus simple, moins effréné, plus accessible. Devine t-on déjà entre les plongeons dans les lacs et les accolades durant les barbecues gargantuesques les conflits et les malheurs qui vont nous déchirer quelques années plus tard ?

Quels souvenirs aujourd’hui ?

Maintenant on a des reflex numériques…. on peut prendre et on prend allègrement des milliers de photos avec son apn, son smartphone, sa gopro. Et toutes ces milliers de photos dorment la plupart du temps sur des disques durs. On les trie rarement, on les oublie souvent. Elles meurent d’une mort lente et inéducable, enfouies sans la quantité, délaissées par notre paresse, alors que notre disque dur grille ou que notre smartphone passe de mode. On publie de temps en temps quelques albums sur facebook, flickr ou instagram. Mais entre ma génération et celle de mes grands-parents, je pourrai même ajouter celle de mes parents, il y a un trait d’union qui manque. Il y a une relation personnelle au vécu, à l’émotion que la photo immatérielle ne restitue pas. Pas dans sa totalité. Pas dans son grain irréprochable ou trop pixelisé.

C’est un peu comme avec ma petite lubie des cartes postales. Jeune, je détestais cette tâche fastidieuse que je prenais grand soin d’éviter telle la peste. Maintenant, j’en envoie avec plaisir à mes parents et mes grands-parents, des petites pensées qui font d’autant plus plaisir qu’elles sont personnalisées, qu’elles demandent un peu de temps, un peu d’efforts. Un minimum en somme. C’est kitsch peut-être, mais c’est bien plus réel qu’une url.

De l’album photo virtuel à l’album photo réel

Je suis en train d’effectuer la même démarche concernant la photo. Puisque la photo matérielle a quasiment disparu de notre quotidien, la création d’un album photo pas cher redevient quelque chose de rare, de précieux, de valeur. Nous ne sommes plus non plus coincés par le fait d’y ajouter la majorité des photos prises sur la pellicule kodak pour le remplir. On a le choix des souvenirs, on a le choix de l’histoire. On peut se permettre de créer à loisir notre roman visuel avec nos plus beaux clichés et les mots adéquats pour l’accompagner en guise de signature. J’ai quelques projets en tête que je veux transmettre non seulement à ma famille mais à moi-même. Poser une pierre pour bâtir quelque chose de moins éphémère que l’illusion offerte par quelques likes disparates.

Mon premier album photo

J’espère le finir pour cet hiver. Pour Noel, avec un peu de chance. Et puisqu’il faut bien se lancer, autant voir les choses en grand avec un livre photo paysage au format XXL avec couverture rigide. J’hésite encore entre le papier photo mat et le papier photo brillant. J’hésite aussi entre faire une thématique unique : une destination, ou mélanger chronologiquement… bref, j’hésite beaucoup. Mais cela m’amuse follement. Le choix sera drastique par rapport à mes dizaines de milliers de photos prises ces dernières années : Tanzanie, Chili, Islande, Chine, Japon, Pérou, Nouvelle-Zélande et j’en passe. Le tas de souvenirs à mettre en forme me donne le tournis. C’est long à accoucher. Cela me rend parfois irascible comme une grossesse. En tout cas, pingre comme je suis, j’hésite moins sur le site de Prentu service photo vu qu’il y a des promos de rentrée avec des réductions jusqu’à 70%.

Et ceux qui aiment voyager savent qu’il ne faut cracher sur aucun euro pour satisfaire sur le long terme ses rêves d’aventures les plus folles. Un jour, les tempes grisonnantes, j’irai partager mes albums photos souvenirs, témoins de mes escapades passées, entassés et poussiéreux sur mes étagères Ikea, contant comme le fit pour moi mon grand-père, les aventures d’une époque révolue. La mienne. La vôtre aussi. On radotera ensemble sur la belle époque. La nôtre évidemment. On se dira en chuchotant que “c’était mieux avant”, lorsque la route des possibles nous semblait sans limites.