Les Houches. Refuge Fagot. Parvis de la porte. Je racle ma gorge enrayée. S’écrase sur le sol le souvenir salé d’une nuit agitée. Sonnent mille cloches près de mon front brûlant. J’hume l’air. Parfum pluie et pinède. Amandine, l’implacable tenancière, me balaye prestement hors du gîte comme on balaye la poussière. Je ne renâcle pas au départ. Devant moi s’étalent 170km de montées, de descentes et de suées. Dans la silencieuse solitude des premiers pas, je carbure aux framboises rosies par les derniers rayons.
Le chemin glisse sous mes pieds, fluide, rapide, évident, comme un tapis électrique. Les branches de pins s’accrochent à ma peau tel des amantes éperdues. Les premiers instants, mes jambes paraissent lourdes de confusion. Attentives, elles semblent me questionner. Encore ? Après les 6 jours de marche dans l’Ubaye ? Oui, encore. Encore mes chères. Les belles histoires jamais ne s’arrêtent.
Je serpente sur un océan entrelacé de pierres, d’arbres et de crêtes. 5 jours et demi à vagabonder entre boue, trous et cailloux. Voici la prévision et le pronostic certain d’une folie qui bat en mon coeur. Je ne serai pas abonné aux 35h. Les pauses seront rares. Les jours seront longs. Mon visage s’éclaire d’une sublime folie. Mes muscles se tendent. Sentinelles prêtes à l’appel. Je dépasse dans l’allégresse les premiers marcheurs que jamais je ne croiserai de nouveau. Adieu mornes et lentes ombres suffocantes. Mes iris aux reflets topaze foudroient ces braillards.
La pointe de mes bâtons s’enfonce dans la chaire de mère nature. Je me nourris de ses enfants fruités. Je bois insouciant son sang bouillonnant qui dévale ses pentes. J’avale les descentes en riant, fuyant, craintif comme un chamois, ceux de ma race. J’oublie les lanières de mon sac qui flagellent mes épaules. Moi aussi, j’ai choisi mon chemin de croix.
Les jours passent. Le vent et la pluie. Arc-en-ciel et éclaircies. Toujours j’avance, l’oeil rapace. Je me fais bouquetin, sautant, aux aguets, de pierres en pierres. Je fuis les autres. L’enfer de leur lenteur, entre musique et puanteur. Marcher seul est mon pain. Je m’en nourris avidement comme si demain jamais ne venait. Je balaye du regard les monts enneigés. Défrisés par les vents, couronnés de nuages. Ils sont, j’imagine, attendris par la puce que je suis, sautillant sur leurs épaules voûtées par les ans.
Je distille le fiel de ma haine à ceux qui me dépassent. Rares oiseaux sans chaînes. Ils filent ces gazelles en jupettes serrées. Libres de tout poids. Au fond, j’envie leur grâce que la violence de mon souffle ne peut atteindre. Ils me ramènent à ma simple condition de mortel, moi qui me voyait déjà dieu des sentiers. L’étreinte de la vérité m’est douloureuse mais déjà ils sont loin. Et ma mémoire est courte. Pour oublier, je me soûle aux myrtilles et arbore fièrement des lèvres carmins.
L’enfant des sentiers se mue peu à peu en homme des cavernes. La route taille le roc de mon âme. Ma tente est mon antre, le foyer de mon impatience. Transformation radicale s’y opère. Peau halée remplacée par barbe hirsute. Vagues bourrelés que deviennent muscles asséchés.
Au matin la brume enveloppe la voie. La pluie caresse ma peau. Ma voix et mon souffle galopent dans les vallons. Les cimes sont en feu. Mes pieds me brûlent, mon étreinte est de glace.
La nuit fait maintenant place au dernier jour. Aux dernières heures. La civilisation est bien trop présente. Bien trop bruyante. Je ne suis pas assez usé. Ce fut trop court. Je fus trop rapide. Je redeviens hyène avant le prochain départ. Je me promets de crever sur des sentiers à 4 chiffres ou sur une arrête peu amène. Qu’on me tue si je gamberge dans un hamac. Si seulement…
Fini. 170 et quelques kilomètres plus tard, sonne le glas d’une balade. J’en ai fait le tour, de ce Mont si Blanc.
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Pas après pas, plongé dans l’horizon, j’élève mon corps à la hauteur des kilomètres à conquérir… Je reviendrai alors, avec des membres de fer, la peau tannée, l’oeil furieux : sur mon masque de poussière et d’acier on me jugera d’une race forte. Je me coifferai d’une toison d’or : je serai vif et brutal. Au destin, j’aurai un sourire carnassier.
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Joli texte et belles images.