Actuellement en Moldavie, prés de Chisnau, dans un centre pour orphelin géré par des religieux pour être plus exact. Je désespère de trouver les mots justes pour commencer mon récit. Il y a tant à dire… en plus, il est tard et demain, je dois donner un coup de main à la gestion de 300 jeunes moldaves fougueux avec ma maigre connaissance du russe et ma tête d’adolescent, je sens que cela va être sportif.
(récit de voyage, les infos utiles sont pour le prochain article 😉
Le passage de la frontière à Chop
S’il devait y avoir une épreuve olympique de la caricature du passage de la frontière du temps du communisme… Chob aurait une médaille. Une medaille de bronze, voire d’argent. Pourquoi me direz-vous ?
Et bien, lorsque vous êtes partis de Bratislava depuis une bonne quinzaine d’heures plus tôt en train, avec quelques changements comme ce fut mon cas (alors que normalement, c’est un “direct”) que vous passez avec un néerlandais, deux tchèques (et leur taux d’alcoolémie frisant les 2 bouteilles / litres de sang) ainsi qu’une hongroise, le poste frontiere ukrainien, vous vous demandez, en passant devant des gars aux crânes rasés et armés de Kalachnikov, si le train dont l’allure et l’état datent un peu -beaucoup… je disais donc, vous vous demandez si vous n’avez pas remonter le temps d’une bonne trentaine d’années.
En fait, lorsque vous arrivez a Chop, c’est un peu le cas.
Le gentil officier ukrainien
Chop, 1h30 du matin. Je stationne devant un vieil officier ukrainien bedonnant qui trouve toute personne passant en face de lui louche. J’aurai pu me faire contrôler par la jeune ukrainienne aux longs cheveux noirs tombant en cascade comme les deux tchèques hein (qui seraient bien passés à la fouille au corps sans problème) mais non, moi j’ai eu droit à l’officier bedonnant. Il me regarde. Je le regarde. Il me regarde. Je lui souris. Il me dit un truc. Je souris toujours sans comprendre. Il me gueule un truc en me postillonant au visage. En clair, vous pouvez imaginer que la discussion n’est pas une partie de plaisir. En effet, bon sang de bonsoir mais que fait un français en Ukraine alors que l’euro 2012 est fini ? (c’est la question à laquelle j’ai eu droit !)
La question sous-jacente est : mais que fait un francais à Chob tout court ? (question que je me suis posé aussi) Il deal, forcément… ou alors, il fait du tourisme sexuel hein ! Bah oui, y’a l’avion avec des lignes low-cost alors dites-moi qui s’amuse à voyager 22h en train de Bratislava à part un gars pas net… un fétichiste du train sans doute ! Un jeune dépravé de l’ouest qui vient prendre nos femmes et voler nos maisons ! (j’extrapole à partir de ce que je lisais sur son visage)
A vrai dire, j’ai eu des doutes hein… la question “Mais dans quoi je me suis embarqué ?” a tout de même traversé mon esprit… surtout que mon esprit faisait encore mal la jonction avec mon polonais et mon rudiment de russe, jonction qu’il ne fait toujours pas d’ailleurs. Alors que je déballais mes affaires devant le regard inquisiteur de cet ancien haut gradé aux nombreuses médailles qui devaient bien faire leur poids j’avais l’impression d’être là sans être là. Expérience de décorporation. Je jouais dans un film d’espionnage et je me regardais, assis dans mon canapé, en train de débaler les affaires au ralenti devant un officier ukrainien me postillonnant dessus pour me dire de me grouiller, probablement. Je répétais un monologue intérieur composé de “Da, Da, Da” (oui, oui, oui en russe)
Mais bon, à part mon air naïf voir niais, à son grand désespoir, il n’avait pas grand chose à me reprocher. Bref, on remballe. En effet, je ne fais pas encore dans la contrebande ni le transport de drogues pour financer mes voyages. (de fait, pour que cela ne soit pas le cas, lisez-moi 😀
J’ajouterai que loin d’être totalement impressionné, je poussais même l’insolence à vouloir prendre des photos du bonhomme mais il a pas voulu… “faut pas déconner non plus, hein !”. Frontière passée sans encombres, Ukraine, me voilà.
La quête de Grivnas au distributeur de billets
Alors ensuite, c’est là que cela devient un peu plus comique. Bon, on passera la propreté douteuse des toilettes ou même l’eau du robinet semble suspecte. Le brossage de dents s’est donc fait à l’eau minéral. On passe directement à l’achat du billet de train ! Parce qu’il faut l’acheter son billet de train pour Lviv à 1h45 du mat. En effet, les gentils guichetiers de Bratislava , ainsi que les contrôleurs le long du chemin, ont omis de préciser que malgré mon billet pour Lviv acheté, il fallait que je réserve un lit au guichet et non dans le train. J’aurai pu le faire par internet… mais personne me l’a dit. Bref, ca, je l’ai compris lorsque je suis entré dans le hall de la gare, sans lumière, ou un ou deux types au regard torve m’attendaient déjà pour m’escroquer/me torturer/me vendre comme esclave à la mafia russe échanger mes euros.
Devant le tableau forcément en cyrillique et mon air abattu, le néerlandais hirsute qui faisait bien un bon mètre 98 me prit sous son aile. Comme quoi, avoir une tête de gars naïf aide dans certaines situations. Tu avais donc un ours et une asperge, moi, qui marchaient côte à côte vers la sortie de la gare pour aller chercher des sous. On sortit donc dans les rues de Chob à 2h du mat pour aller retirer des sous à un distributeur puisqu’il fallait payer mon futur billet dans la monnaie locale. (bah oui, moi, dans l’absolu, j’avais pour ambition d’aller échanger mes euros à Lviv, dans la matinée hein…)
C’est la nuit, donc il faisait noir. Normal. Mais ce qu’il y a de moins normal c’est qu’il n’y avait pas un lampadaire d’allumé en ville. C’est étrange cette sensation de tatonner en ville la nuit. Surtout à Chop ou l’on peut facilement apprécier la taille des trous sur les trottoirs une fois dedans. En tongs, croyez-moi que c’est traître et passablement douloureux les trous à Chop. Retenez bien ceci chers lecteurs, les trous à Chop sont plus douloureux qu’un coin de lit au réveil. Bien que la parcours soit traître, la carrure de mon accompagnateur me rassurait dans ma prospection. Surtout que bon, question carrure moi, je joue plus dans la catégorie Peter Pan que Rocky, voyez.
Naturellement, le seul distributeur accessible était à côté d’un petit magasin 24h/24h ou s’écoulait alors plus d’alcool que de bouteilles minérales, avec des bancs autour, ou s’attroupaient des gens qui s’etaient liés d’amitié avec la bouteille si celle-ci était encore pleine ou lui gueulait dessus si elle avait le mauvais gout d’être vide. (c’est traître une bouteille vide !) Tout ça pour dire qu’ils gueulaient beaucoup… ou alors ils parlaient vraiment très forts !
Lorsque tu vas retirer ton argent au milieu de gens totalement bourrés, en pleine nuit, fatigué, dans un pays ou tu maitrises pas vraiment la langue et que tu as le gabarit poids plume… bah tu fais pas le malin. En effet, je ne faisais pas le malin. Surtout que les gars qui sentaient la bibine, ont bien vu que je faisais pas le malin. Je crois que d’instinct, ils le sentent. A chaque fois que je tapotais sur le clavier, j’avais la sensation de sentir leur haleine fétide sur mon cou. Evidemment, je me disais que c’etait mon imagination jusqu’au moment ou mon sauveur / Dieu réincarné / Superman le néerlandais en écarta hein qui me soufflait réellement sur le cou. C’est la que tu passes du stade “je fais pas le malin” en mode “maisputainsortezmoidela”.
De fait, voyez, pour taper le code de la carte, j’étais, comme qui dirait, un chouilla tendu. Un peu comme si pour votre première fois, vous portiez le caleçon avec des oursons jaunes offert en guise de blague par vos potes et que vous savez que la fille rira quand elle le verra… cela ne vous facilite pas la tâche, avouez-le. (remarquez que pour une fille, on trouvera cela mignon hein, y ‘a pas de justice en ce monde) Donc j’étais pareil mais face au distributeur sauf que lui ne riait pas . Mais je suis sur que s’il avait pu, il se serait bien foutu de ma gueule. Deux tentatives de taper le code, deux échecs. (la comparaison avec le caleçon s’arrete là, je précise) Je remerciais mon cerveau et ma mémoire à toute épreuve toujours aussi efficaces dans les moments difficiles. Merci les gars pour le travail d’équipe ! C’est vrai, après tout, une fois que le néerlandais en aurait marre d’attendre que la crevette en face de lui tape le bon code et qu’il prendra son train (parce que lui, IL AVAIT UN BILLET, LUI !) bah c’est sur que je m’en sortirai tout seul ou avec l’aide de mes futurs amis bourrés. Même pas peur moi !
Si je vous écris maintenant, c’est que la troisième fois fut la bonne. J’ai retiré pour 1500 grivnas (150 euros), le salaire de base locale. Le truc qui te fait sentir en sûreté quoi. Cela m’aurait permis d’avoir d’un seul coup plein d’amis si jamais j’avais voulu convertir mon avoir en boisson locale. Pour une raison indépendante de ma volonté, ce ne fut pas le cas. Je fut donc considéré par les gentlemans du banc comme un être vil et méprisant puisque non généreux. Je le compris à leurs gestes assez explicites et leurs paroles alors que je m’éloignais rapidement du distributeur. Lorsque j’ai eu mes petits billets colorés en main, je me suis d’ailleurs demandé si en Ukraine, ils ne recyclaient pas les vieux billets de Monopoly. J’ai fourré ma liasse dans mon portefeuille et j’ai pas demandé mon reste en suivant les pas de mon garde du corps néerlandais sous les cris de la hordes d’alcooliques. Si un jour je deviens riche, je prendrai un garde du corps néerlandais !
La mamie ukrainienne de la caisse
Me voilà avec des sous, toujours face au tableau des départs de train en cyrillique. Je fais abstraction de la musique de fond hyper délicate qui doit être un enregistrement remixé de partie de pong géante (je vous assure que je ne déconne pas). Pour les plus jeunes que moi, Pong c’est l’ancêtre du jeu video. Y a 2 barres et un pixel en guise de balle. Je crois que cela existait déjà alors que j’étais pas encore né. Bon, ici, à Chop, c’est la musique de fond dans la gare. Le truc qui te fait perdre la notion du temps. Un bad trip sans drogue. Donc, inspiré par Pong qui est d’une grande aide pour la concentration, j’explique au néerlandais que je voudrai acheter un billet pour Lviv. Lui, c’est un vétéran, c est la 10e fois qu’il vient en Ukraine. Il est partie, il en est revenu, vivant, plusieurs fois et pas que pour l’euro. Donc moi, jeune padaoune, j’écoute sagement le vétéran. Il m’explique qu’il y a un guichet qui ouvre la nuit aux alentours de 2h30 du matin. C’est le guichet 4. Le vétéran a évidemment raison. Qu’il soit béni entre tous les néerlandais !
La mamie du guichet 4 qui se trouve en train de faire sa pause au guichet 2 est un relicat des guichetières sous l’ère communiste. C’est à dire qu’elle est assis en face de son thé posé sur sa petite table avec une serviette en carreau, écoutant avec concentration une mini radio. Elle aurait chanté l’Internationale en face de moi que je n’aurai pas été étonné. Pour elle, vous êtes totalement insignifiant et inexistant jusqu’au moment ou elle aura décidé que sa pause est finie. Ne pensez pas la faire bouger de son siège, c’est comme vouloir déplacer une montagne. De fait, 2h55, 25 min après la fin de sa pause officielle, elle daigne m’écouter. Mon incompétence en russe facilite grandement la non communication entre elle et moi. Je vis quelques minutes de solitude qui complétèrent parfaitement l’auto-humiliation que je m’étais infligé, plus tôt en face du distributeur.
- Moi : (en russe)Bonjour, (polonais)je voudrai acheter un billet pour Lviv, couchette si possible
- Elle : … me scrute
- Moi : Billet Lviv couchette s’il vous plait (polonais)
- Elle : .. me scrute toujours
- Moi : Billet ? (russe)(français)(polonais)(anglais)(chti)
- Elle : . (en mode “parle à ma main”)
C’est un extrait. Je vous faire grâce du moment ou exaspérée, elle referma la petite fenêtre et me laissa planter là.
Intervention du vétéran qui met fin a mes souffrances et me procure le sésame pour la suite de mon trajet. Bah oui, lui il parle russe lui. J’ai mon billet de train seconde classe avec couchette. Je suis le vétéran qui décide d’aller voir si le train n’est pas déjà à la station au lieu d’attendre 5h du matin et le départ. Encore une fois, son flair de vétéran ne s’y trompe pas. On monte dans un train qui doit partir en direction de Moscou. Il y a 3 classes. Quand vous voyez la gueule des gars en troisième classe à 3h du matin, vous êtes content d’avoir obtenu des places en seconde. La différence ? En troisième classe, il n’y a pas de compartiments, il y a que des lits, c’est un dortoir géant sans portes dans un train (j’ai testé la 3e classe lors de la suite de mon trajet de Kiev à Odessa). Ce jour là, cela ressemblait plus à un comptoir de bar géant. Maintenant, je croisais les doigts. J’espérai un wagon tranquille, si possible le même que le vétéran, avec des gens propres, pas trop bruyants, pas trop bourrés, que je puisse dormir.
Un miracle s’est produit : mes prières furent entendues. Je n’étais pas avec le vétéran mais j’étais seul dans mon compartiment. Or, j’arrive encore à me supporter. Ma joie fut de courte durée puisque le vétéran m’expliqua qu’en fait, cela augmentait les chances de me faire détrousser puisque j’etais seul et donc plus vulnérable. Paf, prends toi cela dans les dents. Oh courte joie et dure réalité. Cela m’apprendra à être optimiste. Tout de suite, cela vous rend un peu paranoïaque et vous sursautez au moindre bruit. Comme y’en a beaucoup de “moindre bruit”, vous sursautez beaucoup et vous dormez peu. Paf, un bruit de porte qui s’ouvre, réveil. Paf, quelqu’un gueule, réveil. Paf, un bruit de Kalachnikov (non, la je voulais voir si vous suiviez). De fait, je dormis peu… jusqu’au moment ou une dame d’un certain age rejoignit mon compartiment. De fait, je me sentis alors moins vulnérable et m’autorisa à n’ouvrir l’oeil qu’une fois sur deux au moindre bruit inquiétant. Notez bien donc que si vous voulez me détrousser, vous pouvez vous déguisez en mamie !
Et au final…
Au final, bien sur qu’il ne m’arriva rien. La gentille dame du train vint me reveiller avant mon arrivée à Lviv, donc pas besoin de me stresser concernant l’improbable éventualité de me retrouver à Moscou (destination du train) ou plutôt débarqué quelque part à la frontiere russe puisque je n’avais pas de visa.
Quoi… si je grossis un peu le trait sur ces évènements ? Bah… sans doute un peu. 😉 En tant que français, on râle et on enjolive beaucoup non ? Ou alors c’est juste moi mais cela serait me donner trop d’importance. La suite de l’aventure se passa tranquillement et sans accrocs à Lviv. 😉
... Et bien ! On se croirait bel et bien en train de te voir rejouer un vieux film en noir et blanc dont les couleurs reflètent la vision des "gentils" vs "méchants" ...
Faut croire que l'histoire est digne d'un scénario de film : intro accrocheuse, pagaille, stupeur, adjuvant, résolution = happy end ;)