Petite soeur, tu m’as montré la voie. Seul, j’ai marché longtemps et maintenant il y a comme de l’eau dans mes yeux. Ton courage, ton obstination m’ont insufflé la force et le désir de courir après mes rêves. Ces rêves ne sont pas les meilleurs. Ni les plus grands, ni les plus beaux, mais ils sont miens. Tu m’as fait comprendre qu’il faut essayer de trouver le meilleur des compromis pour soi-même au lieu de courir après un vain idéal. Tu m’a appris qu’il faut se focaliser sur nos forces et non nos faiblesses. Qu’il faut composer au mieux avec le temps imparti ici bas. Certains vivent longtemps, certains vivent peu, d’autres se contentent d’exister. Toi tu te battais chaque jour pour reculer l’échéance.
Petite sœur, tu m’a appris que c’est compliqué de nager à contre-courant. De se battre contre ses propres démons, contre ses peurs, contre soi. On est si imparfait, on fait tant d’erreurs. Mais on apprend. Mais on comprend. Et on accepte cette vérité. On sèche nos larmes et on avance.
Petite sœur, sur le ring de la vie, on ne t’a pas fait de cadeaux. On t’a mis au tapis plusieurs fois. Mais toi, tu te relevais. Encore et encore. Tu rendais coups sur coups. Je t’imaginais toujours, regardant avec hargne face à la fatalité qui te mettait à genoux et ressortant un “I will be back” digne du meilleur de Terminator.
Petite soeur, ton adversaire était impitoyable, méthodique, patient. Tu savais que tu allais perdre mais tu as résisté malgré tous les pronostiques les plus fatalistes. Et cette résistance signifiait pour toi accepter ces petites joies qui nous paraissent si insignifiantes. Tu pouvais rayonner pour un rien alors que l’on se lamente au quotidien. Ces pô juste, aurait dit Titeuf. En effet, il n’y avait pas de justice à te voir faner peu à peu sur ta chaise roulante. Mais tu trouvais encore la force de sourire. Tu trouvais encore la force de me sourire.
Petite soeur, un samedi matin, après 20 ans de lutte contre les maladies qui t’ont rongé peu à peu, ton calvaire prit fin. 20 ans durant lesquelles on t’arracha la vue, l’ouïe, ta motricité, tes facultés… Tu as passé ces derniers mois à l’hôpital. Ce fut pour nous un grand huit émotionnel. Oscillant entre l’espoir de te voir sortir pour quelques temps encore avant de replonger brutalement. Et puis un matin, l’accalmie soudaine avant la tempête de larmes. C’est fini. Pas de Happy End comme dans les films.
Lors de ma dernière visite, je ne t’ai pas dit adieu. J’espérais te revoir loin de ton lit d’hôpital. J’espérais te serrer une dernière fois dans mes bras. J’espérais te parler de mes dernières et prochaines aventures, te dire que je t’aime. J’ai appris la nouvelle dans mon lit, au matin. Je ne voulais pas y croire, comme dans un mauvais rêve. J’avais la voix chevrotante, lointaine. C’est une autre personne qui répondait mécaniquement à notre père en pleurs, ce n’était pas moi. J’ai mis ma douleur dans une boîte. Comme je le faisais depuis toujours. J’ai toujours été bon à ce jeu là. Je me suis forcé à me rendormir pour oublier. Comme si le sommeil allait chasser la réalité. Te voilà partie. Enfin je crois. J’ai du mal à m’y faire. Il nous faudra du temps. Tu laisses un grand vide en mon coeur. Je me console en me disant que là où tu es, tu ne souffres plus.
Petite soeur, je pleure lorsque j’écris ces mots. Je pleure lorsque je les relis. Je crois que c’est les mauvaises figures de style sur la boxe qui ne passent pas. J’ai retrouvé un vieux brouillon de poème. Mal fichu, maladroit, mais tu étais encore de ce monde lorsque je l’avais commencé. Aujourd’hui c’est le coeur serré que je le termine. J’y ajoute ce glaçant point final. Il n’y aura pas de suite. Il n’y aura pas de miracles. Dorénavant, il me reste nos souvenirs et des regrets. Les regrets du passé, les regrets de projets, ensemble, jamais accomplis. Je pleure ton départ petite soeur. Je pleure ta mémoire. Tu me manques. J’aurai aimé pouvoir te dire plus souvent que tu comptais beaucoup pour moi. J’aurai aimé être un peu à l’image de mon prénom, Pierre. Ce “roc” sur lequel tu pouvais, sur lequel tu aurais du te reposer. Un temps, il en fut ainsi. Et puis ma force s’est effrité à mesure que la rage et le désespoir de mon impuissance me gagnaient. J’ai manqué à mon devoir. Je n’ai pas été ce soutien que tu as attendu de moi. Je suis tombé sur le ring bien avant toi et j’ai bien failli ne pas m’en relever. La vie est un combat. Ton regard me le murmurait chaque matin. La recherche de fragiles instants de bonheur est une victoire éphémère. On tombera tous un jour. On aura tous des regrets dans notre besace de souvenirs. Entre temps, on sert les dents et on sourit à la vie.
Petite soeur, j’aurai du te dire plus souvent que je t’aime. Maintenant c’est trop tard. Maintenant je regrette. Alors je te dédis ces quelques vers maladroits… ils ne remplaceront jamais cette tendresse dont ta maladie m’a rendu au fil du temps si avare. Mais j’espère qu’ils trouveront écho dans ton coeur. J’espère que tu y liras que depuis toujours, et pour toujours, à jamais, petite soeur, je t’aimerai.
Petit poème de notre enfance
Te souviens-tu, petite soeur, de la douceur de nos printemps. De nos courses poursuites, de nos fous rires, de nos parties de cache cache dans les champs ouverts à tous vents ? Derrière les frêles arbustes dans le jardin, on se disputait souvent alors, toi et moi, pour un tout, pour un rien. On tramait des complots invraisemblables pour retenir les rayons du soleil. On était insouciant du soir au matin, on se pardonnait tout. On chantait des chansons des Minikeums au ptit déj avant une partie de lego. Je te cachais tes poupées, tu me débranchais ma manette. A tes côtés, d’adolescent boudeur, je me transformais en gosse enjoué. Et puis, les années, indifférentes à ta douleur, sur nos vies ont coulé Elles ont bâti, brutalement, des murs qui semblèrent impossibles à abattre Et moi, je regardais et je regarde encore, pantin impuissant, ta lente agonie. Je t’ai perdu petite soeur. Longtemps, je le fus aussi. J’aurai rêvé, petite soeur, de pouvoir transporter le monde à tes pieds. Pour un dernier printemps en ta compagnie Pour un voyage irréel, de Paris à Beijing en passant pas Goa. J’aurai rêvé, petite soeur, de faire ce dernier voyage avec toi. Main dans la main, riant de tes maux Mais mon cœur s’est tû depuis que tu me regardes de là-haut.………
Ton départ nous a réuni en famille. On a feuilleté les albums photos ensemble. On a pleuré comme des madeleines ensemble. On a emballé précieusement dans un coin de notre coeur des souvenirs heureux de ton passage à nos côtés. Le voyage s’est terminé pour toi, il continue pour nous. Les adieux ne durent qu’un temps. On se retrouvera, toi et moi, au prochain croisement de la route. J’aurai, je te le promets, plein d’histoires à te raconter.
Magnifique texte qui exprime la terrible douleur que je ressens moi aussi à la perte de ma soeur qui s’en est aller en ce mois de juin 2023 …
J’ai les larmes aux yeux…
Piotr, ce texte, est exactement se que je vit en ce moment et depuis 20 ans ma soeur qui a rendu l âme lundi le 15 juin 2020 Nous avons la même peine!!! Merci beaucoup pour ce texte
Je ne trouvais pas les mots et ce texte
as Sue mettre un baume sur ma peine!!
Merci
Je me souviens que tu me disais à propos de ta soeur il y a quelques semaines. C’est un beau texte pour ta soeur et triste à la fois. Je te souhaite bien du courage à ta famille et toi.
Je pleure en lisant ces mots qui m’arrachent le coeur. Je ne te connais pas personnellement, et je ne connaissais pas ta petite soeur, mais à travers ce magnifique hommage je me sens proche de vous. Je suis tellement triste pour ta famille, j’aimerais avoir les mots pour vous réconforter.
Merci Claudia…
J’ai partagé toutes mes années de primaire avec ta sœur. Et c’est extrêmement navrée que j’apprend la triste nouvelle. Je lui souhaitais d’aller mieux, je lui souhaitais d’en sortir vainqueure. C’était une battante, une vraie. Je l’ai toujours connu rayonnante malgré les coups dur que la vie lui infligeait petit à petit. Aujourd’hui je regrette évidemment de ne pas avoir pris le temps de prendre de ses nouvelles plus tôt. Et pourtant c’est très souvent que je pensais à elle, ma copine de primaire. Je me souviendrai d’elle riant d’un rien, car c’est ce qui la caractérisait. Aucune formule de politesse ne saurait remplacer la douleur. Alors je me contenterai de dire que je continuerai de penser à Elle.
Merci pour ton message Chloé. C’est ainsi qu’elle aurait aimé que l’on se souvient d’elle.
Navré de lire cette triste nouvelle Piotr. Un bel hommage que tu lui rends là à ta petite sœur. Évidemment, on préférerait tous ne jamais avoir à écrire ou à lire ce genre billet. Certes, c’est la vie, mais la vie est parfois vache et injuste. Mes sincères condoléances. Je suis plus habile à écrire des pitreries que des épitaphes, mais la sincérité du message n’en est pas moindre.
Merci Laurent.
Bonjour Piotr,
J’ai pleuré… quel hommage bouleversant… Je t’envoie une pensée amicale et sincère car je sais qu’aucun mot ne pourra effacer ta douleur…
Merci Nath’
François m’avait prévenue : “ne vas pas lire l’article de Piotr, tu vas pleurer”.
Évidemment, je suis venue le lire. Évidemment, j’ai pleuré.
Pleuré de retrouver à travers tes mots la douleur que j’ai ressentie il y a quelques années à la mort de mon père, emporté lui aussi par la maladie. J’ai écrit, moi aussi, pour exorciser ma douleur. Des mots plus maladroits que les tiens. Mais ils me faisaient du bien. Enfin je crois.
Je sais d’expérience qu’aucun mot d’un étranger ne peut apaiser les sentiments qui nous habitent, comme les “sincères condoléances” que j’ai reçues à l’époque ont pu me mettre par moment dans une rage et une colère irrationnelle. Je n’ai pas de mots à t’offrir, je n’ai que mes larmes (enfin, mon clavier s’est servi en premier), versées sans aucune retenue dans un café au Sri Lanka, sous le regard inquiet et interrogateurs des passants.
Merci Amandine.
Je crois aussi à la force des mots, ils donnent la parole aux larmes. Merci encore pour ton message et si ton clavier est mort, envoie la facture. (enfin sauf si c’est un apple, tu me ruinerais 😉 Passe le bonjour à François. Merci de ton passage et je te souhaite un beau voyage au Sri Lanka. Profitez-bien !
A la recherche d’inspiration pour de futurs voyages, je découvre ton blog puis cet article. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais mais plus, ô combien plus. Ma gorge serrée ne sait que dire, si ce n’est que je partage votre douleur.
Merci Coraline.
Tu trouveras évidemment des récits et conseils de voyage rassure-toi. Mais si je mène la vie que je mène actuellement c’est en partie grâce à ma soeur, je souhaitais lui dédier ce texte. C’est une sorte de catharsis. C’est ma manière de lui dire au revoir.
Ton texte m’a ému et bouleversé car il résonne en moi. J’espère que ma petite soeur de 20 ans aussi rencontrera la tienne dans cet ailleurs, dans ce voyage ultime. Il n’y a pas de mots qui consolent mais des présences, cette idée d’universalité devant la douleur, des pensées d’inconnus qui comprennent. Le voyage m’a beaucoup aidé, j’espère qu’il en sera de même pour toi. Je t’envoie de chaleureuses pensées pour toi et ta famille. Et que la route continue …
Je sais personnellement ce qui m’aiderait. La marche longue en montagne pour apaiser mon esprit, méditer et accepter son absence définitive… mais je dois rester et être fort pour mes parents. Le temps du voyage viendra…
Merci pour ton commentaire Laura
ouff quel texte que tu nous partage aujourd’hui Piotr. Tu m’avais raconté pour la santé de ta petite sœur et apprendre son départ et tes mots pour elle me chavire. Elle a eu de la chance d’avoir un frère comme toi et je suis certaine qu’elle savait l’amour que tu avais pour elle. Je te souhaite beaucoup de courage dans cette difficile épreuve. Je te souhaite, à toi ainsi qu’à ta famille, mes plus sincères condoléances.
Xxxx
Cette époque où l’on en avait discuté rapidement me semble si loin… j’aurai aimé être à l’image de ces mots. A la fin, je ne suis pas certain de lui avoir montré toute l’affection qu’elle méritait. Il y a un moment où j’ai fuis la vérité, où je n’ai pas su accepté…
Merci Rachel.
Très beau et triste texte, magnifique hommage, je pleure avec toi, sans pourtant l’avoir connue…mais ca me touche, beaucoup…courage, je suis avec toi, et tous les gens qui te suivent aussi !
Merci Nicolas…
Le cœur serré.
Tu as une belle prose. Très.
Ely
Merci pour ce compliment Ely.
c’est magnifique. Je n’ai pas de mots
Merci Abdelhamid pour ce beau compliment
… Il n’y a pas de mot juste dans ce genre de cas surtout qu’on ne se connait pas tellement. Mais pour ce que ça vaut, je te souhaite beaucoup de courage et mes condoléances pour ta petite soeur.
Chaque soutien, marque d’attention se vaut 😉 Merci Malicyel
Que d’émotions, mais surtout quel beau texte, quel bel homme à ta soeurette. Bisous du Canada et courage dans ces moments difficiles.
Merci Jennifer.