Article invité d’Alexandre
La notion du voyage de l’amiral est certes sans concession, quitte à être sans pitié – vous allez vite le comprendre – mais se révèle pourtant très juste.
Je ne porte aucun jugement, je vous propose simplement de partager avec vous une synthèse du voyage vu par Olivier de Kersauson, qu’il nous propose dans son livre Ocean’s Songs.
J’en reconnais tout de même volontiers l’exclusivité, peut-être est-ce là d’ailleurs tout son intérêt…
« On ne voyage plus : on se déplace comme des représentants en cravate et bonnet de bain.»
Le ton est donné !
L’Amiral peint le voyage d’aujourd’hui comme un bien de consommation. Le voyage est devenu une économie, du commerce, avec des vendeurs et des acheteurs. Le voyageur n’est plus, il est un consommateur qui se déplace, et qui va consommer à l’autre bout du monde.
Il nomme ces voyageurs là les « déplacés », car ils ne voyagent pas, ils sont simplement en déplacement.
Bannissant l’élitisme, Olivier de Kersauzon croit à « un état de disponibilité » du voyageur. Qu’entend-il par là ?
Je crois que nous pouvons caractériser cet état de disponibilité par quatre points essentiels.
1/ La lenteur
« Voyager, c’est rentrer dans le décor à pas comptés. » Le voyageur disponible n’est pas pressé. Il observe, il est curieux de tout, mais ne s’impose pas, il laisse venir.
Alors, à cette condition, le rapprochement avec l’autre devient naturel, « sans esbroufe ».
« La curiosité pour l’autre est une manière polie de dire l’amitié. »
Accepter la lenteur est un acte courageux, qui nécessite de ne rien prévoir, de ne rien programmer. Ne pas faire mais laisser faire.
La lenteur permet la rencontre avec l’humain, l’humain profond. Olivier de Kersauson n’entend pas par là la tape amicale dans le dos, mais de la vraie rencontre, profonde et sincère, avec l’autre. Sans lenteur, point de partage.
2/ Ne pas se positionner comme témoin
Pas de signe extérieur qui rend le touriste si reconnaissable. Pas d’appareils photos, ni de caméras.
Le voyageur n’hésite pas non plus lorsqu’on lui tend un menu dans une langue qui lui est inconnue : « Si je suis venu de si loin, c’est pour goûter la surprise que le pays m’a préparée. »
Vivre, ressentir, contempler, pour soi, pour le plaisir. Se positionner en tant que témoin, c’est orgueilleux, voire déplacé. Il faut souvent toute une vie entière, voire plus, pour comprendre le véritable sens de ce que l’on observe. Alors après une semaine ou deux passées quelque part ne nous donne pas le droit de se proclamer témoin de quoi que ce soit !
Le touriste doit se fondre dans la masse, devenir transparent, au risque de déplacer le centre d’attraction du visité vers lui-même, le visiteur, par sa méconnaissance.
3/ Zéro bibelots, mais mille souvenirs
« Les objets sont faits pour rester là où ils sont nés. (…). De quoi ça a l’air, une statue khmère dans un appartement du quai Voltaire ? D’un vol. ».
Le voyageur ne rapporte pas. Il n’emporte pas non plus. Pas de bagages, tout prendre sur place pour mieux passer inaperçu.
« Je me mets en position d’enthousiasme ascétique vis-à-vis de celui qui va me recevoir. »
Le voyageur n’a pas de besoin. Il se livre dans le dénuement le plus total, pour mieux pouvoir recevoir. Dénuement physique et moral. Débarrassé de tous ses préjugés, il ne reste au voyageur que sa curiosité bienveillante.
4/ La date du retour ne doit pas être fixe
Comment l’acceptation de la lenteur serait-elle possible avec une date butoir à respecter ?
A avoir une date de retour fixe, on ne voyage pas en Guadeloupe par exemple, on « fait la Guadeloupe ».
« Voyager, c’est accepter de passer du temps et c’est aussi se refuser à tout vouloir embrasser. ».
Surtout pas de programme, par opposition au déplacé qui « se goinfre de souvenirs ».
Avoir une date, une heure de retour, c’est rendre impossible le rêve, c’est peut-être passer à côté de la bonne rencontre. Surtout ne pas se précipiter. Oui le voyageur est un rêveur.
Le touriste contemple hâtivement et se plaint souvent. Tandis que le voyageur ne se plaint jamais. Il rêve, il loupe son train, son avion, mais prend le bonheur là où il est.
« Le voyageur est membre de la corporation des balluchons. »
Il faut partir avec l’idée du retour « à peu près autour de… telle date ». Pour Olivier de Kersauson, c’est à trois semaines près !
Vous étiez prévenus, le voyage selon Olivier de Kersauson ne laisse pas la place à la médiocrité. C’est exclusif, excessif, passionné. A l’image de l’homme certainement !
Le dogme du voyageur disponible ? « Etre transparent, lent, errant et léger. » Ne rien emporter.
A la suite de la lecture de cet article, j’ai envie de ne vous poser qu’une seule question :
Serez-vous prêts, lors de votre prochain départ, à laisser votre appareil photo à la maison ?
Merci de laisser votre commentaire pour répondre à cette question.
Alors la je suis entièrement d’accord avec Alexandre et les différents commentaires. Très bon post invités 😉
@Cindy moi aussi j’aime beaucoup 😉
J’aime beaucoup le point sur les souvenirs. Je n’ai rien, et je n’achète rien, car à quoi ca me servirait ? A décorer une maison dans laquelle je ne vis pas car je repars en voyage ! Enormement de babioles touristiques se vendent mais quelque part je les comprends “les touristes”, ce qui ne viennent que l’espace de quelques jours et qui voudrait, de retour dans leurs appartements français, trainer avec eux encore un peu de leur voyage…
Il n’a pas tout à fait tort de dire que le voyage est devenu un commerce. La preuve : pour de nombreux pays du tiers-monde, le tourisme est devenu l’un des principaux secteurs-clés (parfois le seul) de l’économie ! Alors pourquoi pas, c’est un accord gagnant-gagnant 😉
Ce discours ne tient pas. La faute à qui ?
Franchement les plus belles choses que j’ai vu, elles sont impossibles à prendre en photo (ou alors faut vraiment être calé et vraiment avoir du bon matos).
Quand j’ai vu la Kachenjunga sortir des nuages pour la 1ere fois, par exemple, prendre une photo était vraiment, mais vraiment la dernière de mes préoccupations.
Ce que je préfère ramener d’un voyage : des souvenirs, des amitiés, des pensées, de nouveaux doutes et de nouvelles questions.
J’aime le voyage tel qu’il le décrit. J’adore me sentir perdue, c’est comme une renaissance, il faut recommencer à la base pour comprendre le(s) sens/ l’essence de la vie. J’adore me trouver au point de départ d’une multitude de possibilités et de rencontres, au départ d’une aventure.
Mais effectivement, pour ça, il faut du temps, et le temps, c’est de l’argent dans le monde dans lequel nous vivons…
Je suis tout à fait d’accord avec vous, à chacun sa façon de vivre le voyage. Mais personnellement, il se sera encore plus beau si j’étais accompagné ou encore guidé. Pas la peine que j’apporte un appareil photo, je garde tout dans la tête.
Ouf, ça change des discours de voyage en tant qu'”entreprise (sic) personnelle”
Maintenant comme le dit Oreille, l’interlocuteur qui en parle n’a pas l’air très bien placé.
Cela dit je n’ai jamais emporté appareil ni remporté souvenirs. Je ne suis pas fan de cette engouement contemporain de vouloir “tout prendre en photo”. Et dès fois je me hais à vouloir aller trop vite.
En poussant la logique on peut aussi se passer d’avion. L’enjeu est de pouvoir se nourrir, etc. sans salaire. Je cherche à me renseigner sur l’auto-suffisance en ce moment.
complétement d’accord avec oreille, chaque personne a sa manière de vivre le voyage, il ne devrait pas y avoir de pré-requis
Si je suis globalement d’accord avec les idées évoquées (au moins dans cet article, je n’ai pas lu le livre), je pense qu’il faut aussi se rappeler qu’on est en 2012, qu’on a des obligations.
J’aimerais pouvoir partir et me dire “je rentre vers cette date” sauf que mon patron, lui, veut que je revienne “à cette date”, il est donc difficile de jouer sur ce plan.
Par contre, tellement d’accord à propos de tout ce qui concerne le superflu (appareil photo, vêtements, bagages, etc.), on profite tellement mieux quand on n’a que peu de choses avec soi, on n’est déjà moins “stressé”, et franchement, faire un voyage en étant stressé, qui ça intéresse ?
Je partage assez l’avis d’Oreille.
Moi ce type me gonfle.
A l’aube où la planète fête son premier milliard de touristes annuel, le voyage est une industrie comme les autres. Sinon pour l’appareil photo: les meilleurs photos sont celle qu’on garde dans la tête.
Mouais. Ce genre de mec me gave profondément. Il vit de ses récits de voyage mais voudrait que nous, minables touristes, ne prenions pas de photos ? Il passe son temps à chercher les records et les courses mais nous parle de lenteur…
Et puis j’en ai marre des gens qui viennent nous dire, avec de grandes phrases, que le voyage c’est ci ou ça, que le voyageur doit être ainsi, blablabla. Non, le voyage s’adapte à celui qui le fait, c’est une chose personnelle dont la définition varie selon les personnes, les pays, les humeurs et on n’a pas à changer nos envies et nos habitudes de voyage parce qu’un mec de télé a de grandes idées. On n’est pas meilleur parce qu’on voyage d’une certaine meilleure, on n’est pas mauvais parce qu’on ne voyage pas.
J’aime beaucoup la teneur de ton coup de gueule m’dame Oreille! Les prescriptions sur la façon de voyager sont insupportables… mais ici, pour avoir lu le livre plusieurs fois, ce n’est pas ce que je retiens.
L’auteur est bien trop rebelle et anticonformiste pour croire que ses lecteurs vont suivre ses conseils à la lettre.
Pour moi ce livre, c’est un appel extrêmement bien écrit au voyage, quelle que soit la manière dont on le mènera. Intense, solitaire, collectif, sur les mers, ou vers d’autres cultures plus terriennes, chaque voyageur peut y trouver matière à réflexion.
Et puis, les contractions du loustic, ça fait son charme je trouve, ses courses folles autour du monde, son apologie de la lenteur, son côté médiatique agaçant, sa solitude…
NowMadNow
Je suis tout à fait d’accord avec le voyage lent.
Il faut avoir un certain courage pour s’y lancer la première fois. Mais il apporte bien moins de stress et de déceptions !
Oui je peux très bien laisser mon appareil photo à la maison mais ce serait vraiment dommage de pas prendre des clichés de ses voyages.
Prendre le bonheur ou il est quand on rate son avion, oui mais quand même, difficle d’apprécier le gout.
Il faut vraiment que j’en sache plus sur ce livre.
Tu me donnes envie de lire ce Monsieur dont je n’ai rien lu jusqu’alors – merci!
Position entière et sans concession en effet. Je pense que je pourrai laisser mon appareil chez moi, mais certainement pas mes carnets (sans doute car je pense mieux écrire que photographier pour partager mes voyages). Mais ceci dit, de là à le faire, il y a un très grand pas…
Je lis ledit homme, j’y réfléchis et qui sait, je le ferai peut-être un jour !
Magnifique article qui porte à réflexion… Une fois de plus, on voit la différence entre le voyage, le vrai et le voyage purement touristique !
Et pour répondre à ta question, est-ce que je serai prêt à laisser mon appareil photo à la maison ?
Et bien chacun aura son avis sur la question mais pour ma part, j’avoue que c’est impossible. Quand je vais dans des endroits, où je ne reviendrai peut-être jamais dans ma vie, j’aime avoir des souvenirs de cette aventure et la partager avec mes proches à mon retour, et la photo est sans doute l’un des meilleurs moyens…
Je suis bien d’accord avec toi Benjamin !
Cette question est faite pour souligner la caractère exclusif du voyage vu par l’Amiral !
Les critiques de livre sont un exercice difficile: comment avec son style retranscrire celui de quelqu’un d’autre?
En plus ici Olivier de Kersauzon, c’est un sacré personnage.
J’ai dévoré ce livre il y a deux ans, juste avant de partir. C’est un livre que j’ai dévoré plutôt. Sa façon de jouer sur les anecdotes et sur les mots m’a épatée. Un grand grand monsieur.
Je lisais une interview de lu dans laquelle il racontait que c’est sa lecture des Tintin qui lui a donné envie de voyager au bout du monde. Il voulait devenir un capitaine Haddock plus vrai que nature. Je crois que c’est réussi!
NowMadNow
Sa lecture des Tintin est également évoquée dans le livre. Cela a été pour lui une grande source d’inspiration !
Merci pour ta contribution.
C’est drôle, le 3e point est si vrai. Dans les premiers voyages on rapporte tellement plus de souvenirs que les suivants. Je me souviens d’avoir voyagé avec une amie alors qu’elle n’avait jamais voyagé avant. Les 3/4 (sinon plus) des trucs qu’elle achetait était tellement, mais tellement inutiles, mais elle avait l’air fascinée. Elle a regretté après, je l’avais pourtant avertie 😉